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Après deux ans et demi d’attente, la Commission européenne a présenté en avril 2023 sa proposition de révision de la législation pharmaceutique. Elle vise à répondre aux multiples défis qui s’imposent aux États membres en matière de santé, parmi lesquels un accès rapide et équitable aux produits innovants, et la sécurisation des approvisionnements.

 

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Après deux ans et demi d’attente, la Commission européenne a présenté en avril 2023 sa proposition de révision de la législation pharmaceutique. Elle vise à répondre aux multiples défis qui s’imposent aux États membres en matière de santé, parmi lesquels un accès rapide et équitable aux produits innovants, et la sécurisation des approvisionnements.

Par Chrystèle Reynier - Publié le 14/02/24

 

40% des produits finis médicaux commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers, et entre 60 et 80% des principes pharmaceutiques sont fabriqués en Chine et en Inde, notait L’Usine nouvelle en avril 2023. Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté le 26 avril 2023 sa proposition de réforme des produits pharmaceutique pour "des médicaments plus accessibles, plus abordables et plus innovants".

De multiples défis

Annoncé dès novembre 2020, ce "paquet pharmaceutique", a connu plusieurs reports. Il s’agit de la plus importante réforme dans l’industrie pharmaceutique depuis vingt ans. Elle vise à répondre à des défis nombreux : besoins médicaux non satisfaits, prix élevés des traitements innovants, pénuries de médicaments, nécessaire transformation numérique, prise en compte de l’impact environnemental de la filière…

Elle poursuit ainsi plusieurs grands objectifs, à savoir la création d’un marché unique des médicaments pour un accès rapide et équitable partout dans l’UE à des produits "sûrs, efficaces et abordables", le développement d’un cadre attractif et propice à l’innovation, la réduction des délais d’autorisation des médicaments, la sécurité de l’approvisionnement, la résistance aux antimicrobiens (antibiotiques, antiviraux, antifongiques, antiparasitaires), et la visée d’un médicament" plus durable sur le plan environnemental".

Des incitations pour le développement de médicaments pour tous et innovants

Parmi les éléments forts de cette révision figurent de nouvelles mesures visant à encourager les entreprises à mettre leurs médicaments à disposition des patients dans tous les États membres de l’UE et à développer des produits correspondant à des besoins médicaux non satisfaits.

Pour cela, "la Commission européenne propose de manier la carotte et le bâton" explique le journal Le Monde. Elle prévoit de réduire de deux ans, soit de 10 à 8 ans, la période d’exclusivité commerciale d’un produit, c’est-à-dire la période pendant laquelle les médicaments innovants ne sont pas confrontés à la concurrence des génériques ou biosimilaires.

Toutefois, les industriels pourront bénéficier d’un rallongement de deux ans de cette période à la condition de lancer leurs produits innovants dans tous les États membres. Des rallongements supplémentaires pourront être également être accordés dans certains cas : si le médicament répond à un besoin médical non satisfait (six mois), si le médicament peut traiter d’autres maladies (un an), etc. Au total, les industriels pourront étendre la durée de protection jusqu’à 12 ans, et même 13 ans pour les médicaments répondant à des maladies rares.

Des périodes d’exclusivités pourraient également être accordées aux laboratoires développant de nouveaux antimicrobiens plus performants, la résistance aux antimicrobiens étant identifiée comme une des principales menaces sanitaires dans un proche avenir.

Aussi, les délais d’autorisation des médicaments et vaccins seront réduits, avec un délai d’évaluation par l’Agence européenne du médicament (EAM) passant de 210 à 180 jours et un délai d’autorisation passant de 67 à 46 jours. Il est à noter également que, pour plus de transparence, les titulaires d’une AMM (autorisation de mise sur le marché) devront aussi publier dans un délai d’un mois après l’obtention la totalité des aides publiques perçues dans le cadre de la R&D du produit.

Une réforme nuisible à l’attractivité du continent en R&D ?

Les propositions relatives à la réduction de la durée de la protection des données sont toutefois critiquées par les industriels, souligne Pharmaceutiques. "Cette proposition comporte des points positifs, mais les effets négatifs de certaines mesures pèseront beaucoup plus lourd et grèveront l’attractivité européenne vis-à-vis des investissements industriels pour l’innovation" estime Nathalie Moll, la directrice générale de European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA).

Saluant la modulation des incitations pour "stimuler l’investissement où il n’y en a pas assez", Yann Le Cam, directeur général d’Eurordis (fédération européenne des associations dans les maladies rares), estime quant à lui qu’il "faudrait aller encore plus loin pour renforcer l’attractivité, car l’Europe a déjà décroché en matière de R&D par rapport aux États et à la Chine". Parmi ses propositions : "proposer une année d’exclusivité supplémentaire si la demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) est déposée à l’EMA (Agence européenne des médicaments) avant la FDA (Food and Drug Administration)".

Adrien Samson, Senior Manager politiques de santé et affaires publiques d'EuropaBio (association européenne représentant les intérêts de l’industrie des biotechnologies) se questionne également : "Qui doit décider qu'un besoin médical non satisfait est plus important qu'un autre ? Et comment peut-on savoir aujourd'hui quels seront les besoins non satisfaits en 2040 ?".

Remédier aux pénuries via une meilleure gestion et des partenariats

Un autre volet de la réforme concerne la gestion des pénuries de médicaments en Europe. La Commission européenne prévoit un rôle de coordination accru pour l’EMA et un renforcement des obligations des entreprises. Celles-ci sont chargées de notifier plus rapidement les pénuries et les retraits de médicaments et de tenir à jour des plans de prévention.

Alors qu’une nouvelle pénurie de médicaments était annoncée pour l’hiver 2023-2024, la Commission a notamment dévoilé une nouvelle série de mesures en octobre 2023. À court terme, elle a lancé l’établissement d’une liste de médicaments critiques dans l’Union européenne pour travailler sur la production et les chaînes d’approvisionnement en tension. Elle a également prévu le lancement d’un mécanisme de solidarité entre les États membres pour la redistribution de médicaments en stock vers un pays en situation de pénurie. Dès début 2024, la Commission européenne espérait également la mise en place d’une alliance pour les médicaments critiques avec l’objectif de "renforcer la capacité de l’Europe à produire et à innover dans la fabrication de médicaments de principes actifs critiques". Des partenariats pourront aussi être mis en place avec des pays tiers pour la production de ces médicaments critiques.

Outre la liste des médicaments critiques et la mise en place mécanisme de solidarité entre pays, tous deux prévus d’ici fin 2023, les nouvelles mesures annoncées par la Commission européenne étaient prévues pour 2024. L’adoption de la réforme présentée en avril 2023, quant à elle, ne devrait pas être adoptée avant un délai de deux ans, en raison notamment des élections européennes qui interviendront au printemps 2024. Alors que la santé est un sujet sensible dans une logique d’harmonisation, le texte présenté par la Commission européenne pourrait être largement réécrit au cours des débats, soulignent des avocats interviewés par le magazine Pharmaceutiques.

Chrystèle Reynier

 

Principales sources utilisées pour la rédaction de cet article :    

·         Chaffin Zeliha, "La Commission européenne veut garantir un accès rapide aux médicaments", lemonde.fr, 26 avril 2023

·         Viudez Nicolas, "La Commission européenne dévoile une nouvelle série de mesures", IndustriePharma, décembre 2023, p.42

·         Wierzbicki Julie, "Paquet pharmaceutique européen. La refonte de la discorde", Pharmaceutiques, juin-juillet 2023, p.47-50

 

Auteur :
Reynier, Chrystèle
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