Dans la course internationale aux semi-conducteurs, STMicroelectronics constitue la carte maîtresse de la France. Le fabricant franco-italien, qui compte parmi ses actionnaires principaux Bpifrance et le ministère Italien de l'Économie et des Finances, affiche une croissance constante et de fortes ambitions.
Dans la course internationale aux semi-conducteurs, STMicroelectronics constitue la carte maîtresse de la France. Le fabricant franco-italien, qui compte parmi ses actionnaires principaux Bpifrance et le ministère Italien de l'Économie et des Finances, affiche une croissance constante et de fortes ambitions.
Par Samuel Arnaud - Publié le 21/06/23
Les années passent et la croissance ne se dément pas pour STMicroelectronics. Le fabricant de semi-conducteurs a terminé 2022 avec un chiffre d'affaires de 16,1 milliards de dollars, contre 12,8 milliards l'année précédente. Il pourrait atteindre la barre des 20 milliards à l'horizon 2026. Considéré comme l'un des leaders européens du secteur, ST veut poursuivre sur cette trajectoire et s'affirmer comme un élément clé dans la souveraineté continentale concernant la fabrication de puces. "Si [les projets de construction d'usines] se concrétisent, l'Europe a une chance de doubler sa capacité de production, mais peut-être pas son poids relatif dans la production mondiale. Peu importe le résultat, qui aura de toute façon changé la situation actuelle. Ce qui compte, c'est d'afficher une volonté de leadership", indiquait en novembre 2022 Jean-Marc Chéry, dirigeant de l'entreprise, dans L'Usine Nouvelle.
De nouveaux sites soutenus par les fonds publics
Ce développement passe donc notamment par l'édification de nouvelles usines, afin de gonfler les capacités de production en Europe, particulièrement en France et en Italie. STMicroelectronics veut doubler ses volumes fabriqués et est prêt à investir massivement : 3,5 milliards de dollars avaient déjà été débloqués en 2022 pour bâtir deux nouveaux sites en Italie (dont un dédié aux substrats de carbure de silicium), inaugurer une ligne de production de composants électroniques de puissance en nitrure de gallium dans son usine de Tours, et agrandir son site de Crolles, en Isère.
À l'été 2022, un autre investissement massif a été officialisé : 7,5 milliards d'euros au total pour construire une mégafab, toujours à Crolles, en partenariat avec le fondeur américain GlobalFoundries. L'État français soutient directement le projet en apportant 2,9 milliards d'euros, soit plus de la moitié des subventions dédiées au secteur des semi-conducteurs dans le cadre du plan France 2030. "Cette usine s’inscrit dans l’objectif du gouvernement de doubler la production française de semi-conducteurs d’ici à 2030 de façon à garantir l’indépendance et sécuriser l'approvisionnement du pays dans ce domaine clé. Elle va ajouter pratiquement 6 % de nouvelles capacités de production en Europe, toutes technologies confondues, et jusqu’à 41 % sur les technologies d’une finesse de gravure de 20 à 65 nanomètres", souligne L'Usine Nouvelle. Au moins 5 % de la production de ce nouveau site devra être réservé à des industriels français.
Ce soutien public se retrouve également du côté italien, concernant la nouvelle usine de Catane, en Sicile. En aidant massivement STMicroelectronics, à l'image de ce que font déjà les États-Unis ou la Chine vis-à-vis de leurs propres industriels, la France et l'Italie s'assurent de la fidélité du groupe tout en renforçant leur souveraineté en matière d'approvisionnement, mais aussi de R&D.
La R&D, force historique de ST
Historiquement issu, côté français, du LETI (Laboratoire d'électronique et de technologie de l'information), STMicroelectronics accorde une place phare à la recherche-développement. Mis en difficulté par le passé lors de l'effondrement de Nokia, qui était l'un de ses clients majeurs dans les puces mobiles, le groupe a su rebondir en se réorientant dans d'autres segments, comme l'automobile et l'industrie, dont les besoins en semi-conducteurs n'ont fait qu'augmenter depuis. 15 % du chiffre d'affaires est dédié à la R&D chaque année, afin de trouver des axes d'innovation sur "les capteurs et le traitement analogique de leurs signaux, les solutions pour la gestion de puissance électrique, et les microcontrôleurs avec moins de logiciel mais beaucoup de R&D pour améliorer le facteur de mérite des composants et en baisser la consommation", décrit Jean-Pierre Chéry.
Cela a permis à l'entreprise de devenir le leader mondial du carbure de silicium, en possédant 40 % du marché et en réalisant 700 millions d'euros de chiffre d'affaires dessus en 2022. Selon Jean-Pierre Chéry, ce chiffre pourrait dépasser le milliard dès 2023, puis grimper à 2 milliards d'ici 2026. Le carbure de silicium se présente comme une alternative au silicium traditionnellement utilisé dans les semi-conducteurs, en étant plus léger et en affichant de meilleures performances énergétiques. "Il est considéré comme une technologie clé pour l’électrification de l’automobile", ajoute L'Usine Nouvelle. Dans ce débouché d'avenir, pour garder un temps d'avance sur la concurrence, STMicroelectronics veut continuer à innover, en se lançant par exemple dans la production de plaquettes de 200mm de diamètre, contre uniquement 150mm aujourd'hui. La société compte aussi 130 programmes de développement sur ce segment, dont 60 % visant l'automobile et le reste l'industrie.
Le groupe va également devoir mobiliser sa R&D sur le volet environnemental. La consommation colossale d'eau nécessaire à la fabrication des puces, qui va encore augmenter avec les nouvelles usines, est de plus en plus pointée du doigt. STMicroelectronics affirme que depuis 2016, la quantité d'eau utilisée par plaquette a déjà été diminuée de 41 %, et que le taux de recyclage atteindra 60 % à terme grâce à de nouveaux équipements. Pour Aimeric Mougeot, ingénieur et délégué CGT, ces objectifs ne sont pas assez ambitieux : "Nous pensons qu'il faut aller plus loin, comme l'envisagent Samsung en Corée du Sud et Tower en Israël. En théorie, il est possible de monter à 90 %, car les 10 % restants sont perdus sous forme de vapeur. Mais pour cela, il faut investir davantage qu'on ne le fait aujourd'hui".